© AdobeStock
© AdobeStock

Un jugement qui menace l’exercice de la médecine du travail

par Fanny Marlier / 16 février 2024

La sanction très lourde prise à l’encontre du médecin du travail Jean-Louis Zylberberg par une instance ordinale relance le débat sur les plaintes d’employeurs, mais souligne aussi une méconnaissance de la profession de la part des chambres disciplinaires.

C’est une sanction d’une sévérité inédite pour la médecine du travail. Dans une décision rendue le 12 janvier dernier, la chambre disciplinaire régionale de l’Ordre des médecins de Paris a interdit au Dr Jean-Louis Zylberberg d’exercer durant un an, dont six mois avec sursis, l’obligeant à verser 1 000 euros à l’entreprise pour laquelle il intervient en tant que médecin du travail. Le Dr Jean-Louis Zylberberg, par ailleurs président de l’association Santé et médecine du travail (a-SMT), a fait appel de cette décision, ce qui suspend la sanction prononcée en première instance.
L’entreprise plaignante, Valente Securystar Portes, spécialisée dans la fabrication de portes blindées, conteste six avis d’inaptitude délivrés par le médecin, estimant qu’ils n’ont pas de base médicale, mais qu’il s’agit de certificats de complaisance. Seulement, « un avis d’inaptitude n’est en rien un certificat médical : il ne comporte pas d’éléments relevant du secret médical puisqu’il est transmis à l’employeur », rétorque Dominique Huez, vice-président de l’a-SMT, pour lequel cette procédure n’avait rien à faire devant une chambre disciplinaire.

« Une instrumentalisation du Conseil de l’ordre »

Un avis d’inaptitude peut être prononcé par un médecin du travail lorsque la santé physique ou psychique d’un salarié ne lui permet plus de tenir son poste de travail. Une solution de reclassement doit normalement être proposée par l’employeur au salarié inapte. Si son état de santé ne le permet pas, l’inaptitude entraîne son licenciement et le versement d’indemnités. Depuis 2017, l’employeur ou le salarié concerné peuvent contester l’avis d’inaptitude d’un médecin du travail devant le conseil des prud’hommes. Selon Jean-Louis Macouillard, avocat qui a défendu le Dr Zylberberg en première instance, l'action menée contre ce dernier constitue « une instrumentalisation du Conseil de l’ordre ». « Plutôt que de se défendre devant les prud’hommes, pour contester l’écrit, l’employeur attaque de façon brutale devant le conseil de discipline du médecin », argumente-t-il.
L’entreprise reprochait également au médecin du travail ce qu’elle estime être des manquements dans les procédures ayant abouti aux avis d’inaptitude. Dans sa décision, la chambre disciplinaire a retenu des « manquements à la déontologie médicale », au motif que le Dr Zylberberg n’aurait fondé son avis « que sur la base des déclarations du patient et d’une visite dans l’entreprise qui aurait été effectuée en mai ou juin 2020, en se référant à une fiche entreprise établie en juillet 2017, deux ans avant que ne débute sa mission auprès de la société Valente Sécurité ». Dominique Huez rappelle pour sa part que « le médecin du travail n’est pas obligé de mettre à jour cette fiche entreprise à une date fixe ; il le fait quand cela est opportun ».

Le secret médical malmené

Autre point litigieux : le cabinet d’avocat de l’employeur a joint à sa plainte un courrier remis en mains propres par le Dr Zylberberg à un salarié, destiné à son médecin généraliste, dans lequel il indiquait que « l’entreprise est extrêmement maltraitante avec l’ensemble des salariés » et « respecte peu la réglementation ». La chambre disciplinaire a estimé que le doute persistait quant au fait que le médecin du travail ait bien reçu l’employé concerné en consultation. En guise de preuve, l’employeur a joint le planning des consultations où ne figure pas le nom du salarié. « Le Dr Jean-Louis Zylberberg est en mesure de prouver qu’il a vu toutes les personnes en consultation physique pour établir ces avis d’inaptitude, affirme Dominique Huez. Sauf qu’en réalité, dans certains cas, le docteur a vu les salariés en dehors de ce planning afin de leur assurer l’anonymisation la plus totale vis-à-vis de l’employeur. »
Mais la présentation de ce courrier par l’employeur soulève un problème bien plus grave. Comment se l’est-il procuré ? Un courrier de ce type ne peut normalement être transmis que par le salarié, et seulement dans le cadre d’une procédure prud’homale contre son employeur. « L’Ordre des médecins est de plus complice de recel d’un document relevant du secret médical puisqu'il utilise un courrier entre médecins produit par l’employeur plaignant concernant un salarié », dénonce l’a-SMT dans un communiqué, ajoutant : « L’Ordre n’a jamais vérifié aucun fait, ni diligenté une expertise médicale envers un salarié s’il en était besoin. »
Enfin, la chambre disciplinaire relève que le Dr Zylberberg a remis, par erreur, à un salarié de l’entreprise un « document médical » concernant un autre de ses patients. Selon le médecin, il y a bien eu une « erreur d’envoi », mais « il ne s’agit pas d’un document soumis au secret professionnel ». Il ne comprend donc pas cette décision.

Des jugements souvent désavoués

Cette affaire s’inscrit dans une série déjà longue de procédures intentées auprès de l’Ordre des médecins et visant à remettre en cause les écrits de médecins du travail. « Même si les plaintes auprès de chambres disciplinaires se multiplient à l’échelle régionale, au niveau national c’est une autre histoire… », nuance néanmoins Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). Le syndicaliste a recensé peu de cas de sanctions confirmées en appel : « Au niveau régional, les jugements de la chambre disciplinaire, qui a une mauvaise connaissance de la médecine du travail, sont rendus de façon un peu étrange. Très souvent, ces jugements, sont désavoués, ou a minima, atténués par l’instance nationale. »
Au-delà des médecins du travail, l’affaire qui touche le Dr Zylberberg inquiète aussi les organisations syndicales de salariés. « Cette nouvelle attaque à l’encontre de l’autonomie d’exercice des médecins est inconcevable et, à terme, dangereuse pour la santé des salariés », alerte ainsi la CGT dans un communiqué qui exige la levée des sanctions à l’encontre du médecin du travail.

A lire aussi